« Qui a vu l'Égypte il y a quarante ans, ne peut qu'être frappé de la transformation qu'elle a subie; c'est un monde nouveau qui est apparu. A quelle cause faut-il attribuer cette transformation? Comment s'est-elle produite ? Dès qu'il s'agit de l'Égypte moderne, c'est toujours au Grand Vice-Roi, à Mohammed Aly qu'il faut se reporter.
C'est lui qui l'a transformée; il en a ouvert les portes toutes grandes aux progrès matériels de l'Europe, et par ces portes, des événements ont passé, des idées se sont introduites qui ont complété l'œuvre commencée.
J'ai été appelé à jouer un rôle dans ces événements, je me suis trouvé être l'initiateur de plusieurs de ces idées.
Arrivé à un âge où l'avenir ne compte presque plus pour moi, je me complais dans le souvenir des faits dont j'ai été le témoin et me laisse aller avec eux au courant de ma pensée.
(Nubar Pacha)»
Cannes, novembre 1890
Début du texte de la préface
Nubar Nubarian naquit à Smyrne le 4 janvier 1825, d'une ancienne lignée originaire de Haute Arménie'. Après des études primaires à Genève, il entra avec son frère Arakel au collège de Sorèze, près de Toulouse. Ils y restèrent quatre ans, de 1836à 1840. Nubar avait dix-sept ans quand il fut appelé au Caire par son oncle maternel, Boghos bey Youssoufian, qui occupait les fonctions de ministre du Commerce et des Affaires Étrangères du vice-roi Mohammed Aly. Après avoir débuté comme secrétaire chez son oncle, qui mourut en 1844, le jeune homme devint secrétaire-traducteur auprès du vice-roi. Il fut ensuite détaché auprès d'Ibrahim pacha, qu'il accompagna dans ses voyages jusqu'à la mort d'Ibrahim en 1848. En 185o, Nubar épousa Foulik, fille de Kevork bey Eramian-Karakehya, de Constantinople 3.
L'intelligence native de Nubar, sa vivacité d'esprit, son désir d'apprendre et sa connaissance des langues ( surtout le français, l'anglais et le turc) en firent dès l'abord un auxiliaire précieux. Les problèmes politiques découlant de la position très particulière de 1 'Egypte, au regard de la Sublime Porte, d 'une part, et à celui des puissances européennes, d 'autre part, furent depuis le commencement le champ de prédilection de Nubar.
Son caractère et son énergie le firent pénétrer très tôt dans les affaires d'Etat: à vingt-cinq ans, il discute des problèmes égyptiens avec Stratford-Canning, le puissant ambassadeur de Grande-Bretagne à Constantinople; à vingt-six ans, il est envoyé à Londres...