Bibliothèque de l'Eglise apostolique arménienne - Paris - DER MELKONIAN-MINASSIAN , Chaké     Retour à l'Index des auteurs en français    Accueil des catalogues en ligne

Bibliothèque de l'Église apostolique arménienne - Paris
15, rue Jean-Goujon - 75008 Paris || Père Jirayr Tashjian, Directeur
Téléphone : 01 43 59 67 03
Consultation sur place du mardi au jeudi, de 14 heures à 17 heures


Chaké DER MELKONIAN-MINASSIAN
( 1926 - 2017 )

L'auteur

Chaké DER MELKONIAN-MINASSIAN --- Cliquer pour agrandir
Naissance en 1926 à Beyrouth, décès le 1er juillet 2017 à Montréal (Canada).

Après avoir suivi l’enseignement secondaire à l’école Hamaskaïne Nechan Palandjian, où elle se perfectionne dans l'enseignement de la langue française, elle enseigne au Collège Sourp Nechan et à Nechan Palandjian. Quelques années plus tard, elle obtient son doctorat en littérature à l'Université de la Sorbonne, en France.
Elle s'installe à Montréal en 1963, où elle épouse Varujan Minassian. Elle se consacre à l'éducation autant dans l’enseignement secondaire que dans l’enseignement universitaire, et est nommée titulaire de la chaire de littérature de l'Université du Québec, poste qu’elle conserve près d'un quart de siècle.
Chaké DER MELKONIAN-MINASSIAN a également tenu des postes remarquables dans différentes institutions de la communauté arménienne. En 1970, elle est élue présidente du Comité central mondial du HOM, poste qu'elle occupe jusqu'en 1986. De 1972 à 1994, elle occupe divers postes de direction dans les domaines des organismes officiels d'immigration du Canada et l'enseignement supérieur à l'Université du Québec
Elle est l'auteur de nombreuses œuvres traitant de la littérature, de l'histoire et des traditions arméniennes. Elle fait également d'innombrables traductions et rédige des manuels scolaires en langues arménienne et française, et reçoit la distinction Mesrob Mashdotz accordée par le Catholicos de la Grande Maison de Cilicie, Aram 1er.
Mention également de son engagement à Hamaskaïne, où elle intègre différentes commissions pendant de nombreuses années, et de son militantisme au sein de la FRA Tachnagtsoutioun.

ligne
892
Chaké DER MELKONIAN-MINASSIAN --- Cliquer pour agrandir

Rangement général
Cliquer pour agrandir

 Contes arméniens
Titre : Contes arméniens / auteur(s) : Chaké DER MELKONIAN-MINASSIAN - racontés par Chake Der Melkonian-Minassian ; ill. par Elo Boudakian ; préface de Henri Verneuil
Éditeur : Edipol
Année : 2004
Imprimeur/Fabricant : Imp. Jouve, 11 bd de Sébastopol, 75001 Paris
Description : 21x28 cm, 144 pages, couverture illustrée en couleurs
Collection : Diasporas
Notes : Réédition de l'ouvrage paru en 1987 aux Editions Kirk
Autres auteurs :
Sujets : Contes populaires arméniens
ISBN : 2913444180
Lecture On-line : non disponible

Commentaire :

Préface de Henri Verneuil
II était une fois... au siècle du Roi Soleil un charmant prince des contes nommé Charles Perrault qui avec une exquise modestie (se faisant même plus modeste qu'il ne l'était) disait, en parlant de ses contes : "Oh, ce sont d'agréables sornettes !" Et par ces quatre vers, il terminait son célèbre Peau d'âne :
"Le conte de Peau d'Ane est difficile à croire
Mais tant que dans le monde on aura des enfants,
Des mères et des mères-grands,
On en gardera la mémoire".

Tous les contes du monde sont difficiles à croire. Mais c'est précisément cet "incroyable" que l'on veut entendre. On ne demande pas au conteur une tranche de vie quotidienne, mais un gros morceau de rêve... "Comme si on y était".
Après le temps des berceuses, les nourrices endormaient les enfants avec des... "II était une fois...". Et pour les grands ce fut longtemps le feuilleton et le téléfilm des temps anciens.

Que le conte soit féerique, satirique, humoristique ou un peu les trois à la fois, le processus consiste à arracher l'homme à sa grisaille, à ses soucis et ses peines du jour, pour le catapulter dans un monde merveilleux fantastique et fabuleux.
S'il y a une parenté dans tous les contes du monde, quelle que soit leur origine, le conte arménien souvent se permet l'insolence de casser le schéma classique et surprend son auditeur ou son lecteur par un rebondissement inattendu. Quand un prince amoureux demande en mariage la fille d'un berger, cela ne se termine pas forcement pa r: ".... Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants".
Notre petite paysanne Anahid renvoie les riches présents et le prince à son cher palais en le priant de ne se représenter que lorsqu'il aura appris un métier.
Et le prince se fera tisserand tout en demeurant roi.
Le serpent noir porte-chance, le donquichottesque Nazar qui abat d'un coup deux mille... mouches, la goutte de miel qui déclenche des guerres meurtrières ou le vieux moine Ohan marchant sur la surface du lac, sont autant de contes qui portent les odeurs d'un folklore spécifique.
On reste dans le merveilleux et le fantastique mais nous sommes loin de la fée portant robe scintillante et une étoile au front, qui arrange les affaires de coeur en emportant des bergères vers les princes charmants, dans des attelages de dragons ou de salamandres ailées.

De Peau d'âne à Cendrillon, de La belle au bois dormant à Blanche-Neige, on se sert beaucoup du surnaturel pour bouleverser les lois de la nature. Les pauvres deviennent riches, on rend la beauté aux laiderons, les bons sont récompensés, les misérables changés en statues de pierre et les larmes se métamorphosent en perles sans qu'un seul instant tous ces conteurs en pays chrétien ne réalisent que du bout de leurs baguettes magiques, ils font l'éloge du paganisme.
Certes, chez le conteur arménien aussi, parfois, le loup et l'arbre se mettent à parler, les prisonniers de Tamerlan transformés en colombes blanches s'envolent par-delà les vitraux brisés de leur église vers les montagnes natales ; les eaux de source fécondent les princesses qui mettront au monde des enfants par voie buccale; la mer se déchire et les flots s'écartent pour offrir à Sanasar un jardin fleuri où l'attend le superbe Djalali, ce cheval qui parle et qui raisonne.
Mais dans leur ensemble, les héros du conte arménien semblent plus près des réalités. Ils sont faits de chair et d'os. Ils ont faim et ils ont froid, et quand ils se battent, c'est pour dresser des temples de la lumière et éliminer à jamais l'ignorance et l'obscurantisme.
Le sauvage corps à corps de Haïk contre Pel, c'est pour que triomphe la liberté.
Et c'est par fidélité conjugale que Ara le Bel, prince d'Arménie, tombera sous la flèche d'un soldat de la belle Semiramis furieuse d'avoir été repoussée. Mais pour ceux que cette fin attristerait, une deuxième version propose que Semiramis repentie, renvoie le beau prince auprès de son épouse bien aimée.
Tous ces contes porteurs de mythes et de symboles, remarquablement adaptés et rapportés par Chake Der Melkonian-Minassian, qu'ils nous viennent des légendes ou des épopées populaires, qu'ils soient signés Toumanian, Servandzian, Gourdikian, Aghayan: ces frères d'Andersen, de Perrault ou des Grimm, il était bon de les faire mieux connaître du grand public.
Je leur souhaite la suprême grâce de rencontrer maintenant un Walt Disney pour les rendre plus populaires encore. Par ces temps de grave et de sérieux, il fait bon retrouver son enfance et rêver les yeux ouverts à ces histoires "à dormir debout".

Henri Verneuil


Commentaire

Le dernier né des Éditions Kirk (Collection Diasporas) est un bel ouvrage signé Chaké Der Melkonian-Minassian. Mais sous l'appellation "Contes Arméniens" le livre englobe une grande variété de genres : au nombre de 14, épopées populaires, légendes, récits traditionnels et contes fantastiques, forment un tout homogène d'où jaillissent les concepts de la beauté et du bien et d'autres valeurs morales qui ont fondé les sociétés arméniennes de tous les temps. L'acte de naissance du peuple arménien formulé dans la légende de Haïg et Pel est un acte de liberté. Ara le beau refuse la gloire par fidélité à son épouse ; le temple de la lumière se dresse grâce aux symboles de l'amour, du travail et de la force. Enfin dans les trois chants de l'Épopée des Preux de Sassoun une valeur inhabituelle émerge : la Folie, une qualité entre le courage et I'inconscience, mise au service de la libération de Sassoun. L'humour dans les contes : quelques récits prônent le contraire des valeurs traditionnelles : alors que la petite paysanne Anahide refuse d'épouser un roi pour son titre, et exige de lui qu'il apprenne un métier, Nazar le peureux, le paresseux devient roi uniquement par un concours de circonstances. Le voleur du Mardi Gras rit de l'incrédulité de ses victimes.
Les récits des "Contes Arméniens" ne commencent pas par "Il y avait, et il n'y avait pas'" ni ne finissent par Trois pommes sont tombées du ciel ' ou "ainsi ils atteignirent le terme de leur destinée, puissiez-vous atteindre la vôtre"; formules habituelles des contes arméniens. L'auteur, Mme Chaké Der Melkonian-Minassian, a considérablement modernisé le langage des histoires.

Professeur de littérature comparée à l'Université du Québec à Montréal, Mme Chaké Der MelkonianMinassian est l'auteur d'un précédent ouvrage sur les contes arméniens. Ce sont ses recherches sur la littérature pour jeunes (en anglais et en français) qui ont guidé son choix du style de langage et de techniques de récit des Contes Arméniens pour cette nouvelle édition. Préfacé par Henri Verneuil, qui a trouvé là un domaine propice à sa nature de "conteur oriental" comme il aime à se qualifier, 'les Contes Arméniens" est un ouvrage qui répond à un besoin existant. Désormais, rien n'empêche chaque Arménien d'offrir le "merveilleux" aux enfants de son entourage, mais aussi à des adultes, car outre la qualité de son contenu il est le premier livre de contes arméniens illustré. Les illustrations en couleur d'E. Boudakian, collent à l'histoire et la rende plus vivante et accessible à tous les âges.

Hilda Tchoboian, Mensuel France-Arménie, numéro 60, Septembre 1987


Autre commentaire

En 1812, à la grande joie des enfants, Jacob et Wilhelm Grimm publièrent leur premier recueil de contes populaires. Toutefois, ils avaient parfaitement conscience de s'adresser, également, à un autre public que celui des enfants : les adultes, plus exactement ceux qui, comme eux, se souciaient de retrouver le lointain passé de la nation allemande.
Les frères Grimm expliquèrent que les anciens mythes de l'Allemagne, que l'on croyait oubliés et disparus, survivaient encore obscurément dans les contes. Certes, il n'était pas toujours aisé de les discerner. Dans la continuelle transformation dont les contes étaient l'objet, il était inévitable que de nouveaux éléments fussent introduits, que d'anciens disparussent ; les vieilles croyances, devenues peu à peu incompréhensibles, étaient lentement éliminées. Il en allait de même avec des évènements historiques fort anciens.
L'étude approfondie des contes permettait également de percevoir les multiples influences étrangères. On pouvait ainsi constater qu'un grand nombre de contes allemands se retrouvaient, identiques, dans les littératures scandinave, anglaise, serbe, indoue, persane... Ce faisant, on pouvait admettre l'existence, à l'origine, d'un archétype du conte. On remontait, ainsi, à une antiquité commune des diverses traditions nationales. Ce sera le point de départ des travaux de James George Frazer, le savant auteur du Cycle du Rameau d'or. Celui-ci, en diverses occasions, ne manqua pas d'exposer le rôle important joué par les contes populaires dans l'élaboration de son œuvre. Dans les faits, ses écrits prolongeaient, en les concrétisant, les intuitions des frères Grimm.
La voie ouverte par Frazer sera empruntée par maints savants dont Dumézil, Mannhardt, Van Gennep, Propp, Abéghian... D'une part, on recueillera systématiquement les contes, établissant ainsi de vastes corpus ; d'autre part, ils seront analysés selon diverses approches.
Le grand public ignore, naturellement, tout cela et ne voit dans les contes populaires que des fables destinées à l'amusement des enfants. De fait, on pourrait difficilement infirmer une telle opinion si l'on songe à la beauté des volumes admirablement illustrés qui les renferment.
Le conte populaire se présente donc comme un matériau primordial pour quiconque souhaite pénétrer l'âme d'un peuple car il sourd des tréfonds de son être collectif et immémorial. Cela nous conduit à affirmer qu'il n'existe rien de plus culturel que le conte dans la mesure où il est immergé, corps et âme, dans l'immanence de sa communauté de naissance. Et même, pourrions-nous ajouter, les contes à caractère purement littéraire ne parviennent pas à fonctionner de manière indépendante. Leurs auteurs ne réussissent pas à avoir barre sur leurs créations. Ces écrits naissent, en quelque sorte, non pas comme un bien personnel, directement et intrinsèquement lié à l'écrivain, mais comme un bien patrimonial. Le conte populaire est donc ce qui existe de moins susceptible de cosmopolitisme. Il est l'œuvre du terroir, en ce qu'elle est généalogique.
Comme tous les peuples anciens, les Arméniens possèdent un très riche fonds de contes populaires. Si on les analyse, en les comparant avec ceux des autres Indo-européens, on décèle aisément de très nombreuses similitudes renvoyant à des temps particulièrement lointains, à des pratiques et des structures mentales et spirituelles communes. Pourtant, malgré cela, des différences notables existent, relevant de la spécificité arménienne, c'est-à-dire également à une histoire prise dans son processus. Cela nous conduit à affirmer que ces textes constituent une source incomparable quant à la connaissance. En toute logique, ils devraient être aisément accessibles à tous. Or ce n'est pas le cas. Les traductions françaises manquent, du moins sont indisponibles auprès des éditeurs. Certes, Frédéric Macler en publia plusieurs recueils dont le dernier remonte à 1928 ; pourtant, il faudra attendre 1964 pour voir paraître les Contes et Légendes Arméniens de Chaké Der Melkonian-Minassian ainsi que la traduction de David de Sassoun par Frédéric Feydit. Ces deux livres sont, eux aussi, épuisés. Fort heureusement, les Éditions Kirk viennent d'éditer un très beau volume de Contes Arméniens racontés par Chaké Der Melkonian-Minassian. Henri Verneuil préface cet ouvrage qu'illustre merveilleusement Elo Boudakian.
Chaké Der Melkonian-Minassian a choisi onze contes ainsi que trois chants de l'épopée de David de Sassoun. Si les deux premiers textes des Contes Arméniens ainsi que ceux tirés du cycle des Preux de Sassoun n'ont pas réellement d'auteurs, il n'en va pas de même pour les autres. On notera ainsi la présence de textes dus à H. Toumanian G. Aghayan, K. Servandzian et S. Gourdikian que l'auteur du volume a traduits et adaptés.
Ces histoires nous les connaissons pour la plupart d'entre elles ; mais il est agréable de les relire sous une forme nouvelle, et surtout vivante, débarrassée d'une écriture se voulant scientifique et de ce fait rébarbative.
Par des contes tels que "Haïg et Pel ", "Ara le Bel et Sémiramis" et L'Église des innocents" nous pénétrons dans des moments de l'histoire ; par contre, les autres choix éclairent, pour qui sait lire, le caractère de la nation arménienne.
Nous connaissons Chaké Der Malkonian-Minassian pour avoir apprécié, à juste titre d'ailleurs, ses précieux ouvrages Politiques Littéraires en U.R.S.S. et L'Épopée Populaire Arménienne-David de Sassoun. Nous parlerons de cette dernière étude dans la prochaine livraison d'Ani. Avec ses Contes Arméniens elle a pu, non seulement, combler un vide préjudiciable à une des plus anciennes cultures, mais aussi offrir au public, celui des petits comme celui des adultes, une œuvre des plus plaisantes à lire.

Gérard Bédrossian, Cahiers arméniens ANI, N° 3 (1987)


Table des matières

Il était une fois..,5
Ha'ïg et Pel (légende nationale)9
Ara le Bel et Sémiramis (légende nationale)13
L'église des innocents (d'après H. Toumanian)17
Anahid (d'après G. Aghayan)21
L'enfant et le serpent (d'après K. Servandzian)37
Nazar le Vaillant (d'après H. Toumanian)41
Le Temple de la Lumière (d'après S. Gourdikian)53
Une goutte de miel (d'après H. Toumanian)57
A qui la faute? (d'après H. Toumanian)63
Areknazan ou le monde enchanté (d'après G. Aghayan)67
Le Mardi gras (d'après H. Toumanian)83
Les Preux de Sassoun (épopée populaire arménienne)
- Sanasar et Balthasar - chant premier89
- Mehèr le Lion - chant deuxième105
- David de Sassoun - chant troisième115


231
Chaké DER MELKONIAN-MINASSIAN --- Cliquer pour agrandir

Rangement général
Cliquer pour agrandir

 Contes arméniens
Titre : Contes arméniens / auteur(s) : Chaké DER MELKONIAN-MINASSIAN - Racontés par Chake Der Melkonian-Minassian ; ill. par Elo Boudakian ; préface de Henri Verneuil
Éditeur : KIRK
Année : 1987
Imprimeur/Fabricant : Imprimerie arménienne, Saint-Lazare
Description : 22 x 28,5 cm, 144 pages, couverture illustrée en couleurs
Collection : Diasporas
Notes : Illustrations Elo Boudakian
Autres auteurs :
Sujets : Contes -- Arménie
ISBN : 2905686049
Lecture On-line : non disponible

Commentaire :

Préface de Henri Verneuil
II était une fois... au siècle du Roi Soleil un charmant prince des contes nommé Charles Perrault qui avec une exquise modestie (se faisant même plus modeste qu'il ne l'était) disait, en parlant de ses contes : "Oh, ce sont d'agréables sornettes !" Et par ces quatre vers, il terminait son célèbre Peau d'âne :
"Le conte de Peau d'Ane est difficile à croire
Mais tant que dans le monde on aura des enfants,
Des mères et des mères-grands,
On en gardera la mémoire".

Tous les contes du monde sont difficiles à croire. Mais c'est précisément cet "incroyable" que l'on veut entendre. On ne demande pas au conteur une tranche de vie quotidienne, mais un gros morceau de rêve... "Comme si on y était".
Après le temps des berceuses, les nourrices endormaient les enfants avec des... "II était une fois...". Et pour les grands ce fut longtemps le feuilleton et le téléfilm des temps anciens.

Que le conte soit féerique, satirique, humoristique ou un peu les trois à la fois, le processus consiste à arracher l'homme à sa grisaille, à ses soucis et ses peines du jour, pour le catapulter dans un monde merveilleux fantastique et fabuleux.
S'il y a une parenté dans tous les contes du monde, quelle que soit leur origine, le conte arménien souvent se permet l'insolence de casser le schéma classique et surprend son auditeur ou son lecteur par un rebondissement inattendu. Quand un prince amoureux demande en mariage la fille d'un berger, cela ne se termine pas forcement pa r: ".... Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants".
Notre petite paysanne Anahid renvoie les riches présents et le prince à son cher palais en le priant de ne se représenter que lorsqu'il aura appris un métier.
Et le prince se fera tisserand tout en demeurant roi.
Le serpent noir porte-chance, le donquichottesque Nazar qui abat d'un coup deux mille... mouches, la goutte de miel qui déclenche des guerres meurtrières ou le vieux moine Ohan marchant sur la surface du lac, sont autant de contes qui portent les odeurs d'un folklore spécifique.
On reste dans le merveilleux et le fantastique mais nous sommes loin de la fée portant robe scintillante et une étoile au front, qui arrange les affaires de coeur en emportant des bergères vers les princes charmants, dans des attelages de dragons ou de salamandres ailées.

De Peau d'âne à Cendrillon, de La belle au bois dormant à Blanche-Neige, on se sert beaucoup du surnaturel pour bouleverser les lois de la nature. Les pauvres deviennent riches, on rend la beauté aux laiderons, les bons sont récompensés, les misérables changés en statues de pierre et les larmes se métamorphosent en perles sans qu'un seul instant tous ces conteurs en pays chrétien ne réalisent que du bout de leurs baguettes magiques, ils font l'éloge du paganisme.
Certes, chez le conteur arménien aussi, parfois, le loup et l'arbre se mettent à parler, les prisonniers de Tamerlan transformés en colombes blanches s'envolent par-delà les vitraux brisés de leur église vers les montagnes natales ; les eaux de source fécondent les princesses qui mettront au monde des enfants par voie buccale; la mer se déchire et les flots s'écartent pour offrir à Sanasar un jardin fleuri où l'attend le superbe Djalali, ce cheval qui parle et qui raisonne.
Mais dans leur ensemble, les héros du conte arménien semblent plus près des réalités. Ils sont faits de chair et d'os. Ils ont faim et ils ont froid, et quand ils se battent, c'est pour dresser des temples de la lumière et éliminer à jamais l'ignorance et l'obscurantisme.
Le sauvage corps à corps de Haïk contre Pel, c'est pour que triomphe la liberté.
Et c'est par fidélité conjugale que Ara le Bel, prince d'Arménie, tombera sous la flèche d'un soldat de la belle Semiramis furieuse d'avoir été repoussée. Mais pour ceux que cette fin attristerait, une deuxième version propose que Semiramis repentie, renvoie le beau prince auprès de son épouse bien aimée.
Tous ces contes porteurs de mythes et de symboles, remarquablement adaptés et rapportés par Chake Der Melkonian-Minassian, qu'ils nous viennent des légendes ou des épopées populaires, qu'ils soient signés Toumanian, Servandzian, Gourdikian, Aghayan: ces frères d'Andersen, de Perrault ou des Grimm, il était bon de les faire mieux connaître du grand public.
Je leur souhaite la suprême grâce de rencontrer maintenant un Walt Disney pour les rendre plus populaires encore. Par ces temps de grave et de sérieux, il fait bon retrouver son enfance et rêver les yeux ouverts à ces histoires "à dormir debout".

Henri Verneuil


Commentaire

Le dernier né des Éditions Kirk (Collection Diasporas) est un bel ouvrage signé Chaké Der Melkonian-Minassian. Mais sous l'appellation "Contes Arméniens" le livre englobe une grande variété de genres : au nombre de 14, épopées populaires, légendes, récits traditionnels et contes fantastiques, forment un tout homogène d'où jaillissent les concepts de la beauté et du bien et d'autres valeurs morales qui ont fondé les sociétés arméniennes de tous les temps. L'acte de naissance du peuple arménien formulé dans la légende de Haïg et Pel est un acte de liberté. Ara le beau refuse la gloire par fidélité à son épouse ; le temple de la lumière se dresse grâce aux symboles de l'amour, du travail et de la force. Enfin dans les trois chants de l'Épopée des Preux de Sassoun une valeur inhabituelle émerge : la Folie, une qualité entre le courage et I'inconscience, mise au service de la libération de Sassoun. L'humour dans les contes : quelques récits prônent le contraire des valeurs traditionnelles : alors que la petite paysanne Anahide refuse d'épouser un roi pour son titre, et exige de lui qu'il apprenne un métier, Nazar le peureux, le paresseux devient roi uniquement par un concours de circonstances. Le voleur du Mardi Gras rit de l'incrédulité de ses victimes.
Les récits des "Contes Arméniens" ne commencent pas par "Il y avait, et il n'y avait pas'" ni ne finissent par Trois pommes sont tombées du ciel ' ou "ainsi ils atteignirent le terme de leur destinée, puissiez-vous atteindre la vôtre"; formules habituelles des contes arméniens. L'auteur, Mme Chaké Der Melkonian-Minassian, a considérablement modernisé le langage des histoires.

Professeur de littérature comparée à l'Université du Québec à Montréal, Mme Chaké Der MelkonianMinassian est l'auteur d'un précédent ouvrage sur les contes arméniens. Ce sont ses recherches sur la littérature pour jeunes (en anglais et en français) qui ont guidé son choix du style de langage et de techniques de récit des Contes Arméniens pour cette nouvelle édition. Préfacé par Henri Verneuil, qui a trouvé là un domaine propice à sa nature de "conteur oriental" comme il aime à se qualifier, 'les Contes Arméniens" est un ouvrage qui répond à un besoin existant. Désormais, rien n'empêche chaque Arménien d'offrir le "merveilleux" aux enfants de son entourage, mais aussi à des adultes, car outre la qualité de son contenu il est le premier livre de contes arméniens illustré. Les illustrations en couleur d'E. Boudakian, collent à l'histoire et la rende plus vivante et accessible à tous les âges.

Hilda Tchoboian, Mensuel France-Arménie, numéro 60, Septembre 1987


Autre commentaire

En 1812, à la grande joie des enfants, Jacob et Wilhelm Grimm publièrent leur premier recueil de contes populaires. Toutefois, ils avaient parfaitement conscience de s'adresser, également, à un autre public que celui des enfants : les adultes, plus exactement ceux qui, comme eux, se souciaient de retrouver le lointain passé de la nation allemande.
Les frères Grimm expliquèrent que les anciens mythes de l'Allemagne, que l'on croyait oubliés et disparus, survivaient encore obscurément dans les contes. Certes, il n'était pas toujours aisé de les discerner. Dans la continuelle transformation dont les contes étaient l'objet, il était inévitable que de nouveaux éléments fussent introduits, que d'anciens disparussent ; les vieilles croyances, devenues peu à peu incompréhensibles, étaient lentement éliminées. Il en allait de même avec des évènements historiques fort anciens.
L'étude approfondie des contes permettait également de percevoir les multiples influences étrangères. On pouvait ainsi constater qu'un grand nombre de contes allemands se retrouvaient, identiques, dans les littératures scandinave, anglaise, serbe, indoue, persane... Ce faisant, on pouvait admettre l'existence, à l'origine, d'un archétype du conte. On remontait, ainsi, à une antiquité commune des diverses traditions nationales. Ce sera le point de départ des travaux de James George Frazer, le savant auteur du Cycle du Rameau d'or. Celui-ci, en diverses occasions, ne manqua pas d'exposer le rôle important joué par les contes populaires dans l'élaboration de son œuvre. Dans les faits, ses écrits prolongeaient, en les concrétisant, les intuitions des frères Grimm.
La voie ouverte par Frazer sera empruntée par maints savants dont Dumézil, Mannhardt, Van Gennep, Propp, Abéghian... D'une part, on recueillera systématiquement les contes, établissant ainsi de vastes corpus ; d'autre part, ils seront analysés selon diverses approches.
Le grand public ignore, naturellement, tout cela et ne voit dans les contes populaires que des fables destinées à l'amusement des enfants. De fait, on pourrait difficilement infirmer une telle opinion si l'on songe à la beauté des volumes admirablement illustrés qui les renferment.
Le conte populaire se présente donc comme un matériau primordial pour quiconque souhaite pénétrer l'âme d'un peuple car il sourd des tréfonds de son être collectif et immémorial. Cela nous conduit à affirmer qu'il n'existe rien de plus culturel que le conte dans la mesure où il est immergé, corps et âme, dans l'immanence de sa communauté de naissance. Et même, pourrions-nous ajouter, les contes à caractère purement littéraire ne parviennent pas à fonctionner de manière indépendante. Leurs auteurs ne réussissent pas à avoir barre sur leurs créations. Ces écrits naissent, en quelque sorte, non pas comme un bien personnel, directement et intrinsèquement lié à l'écrivain, mais comme un bien patrimonial. Le conte populaire est donc ce qui existe de moins susceptible de cosmopolitisme. Il est l'œuvre du terroir, en ce qu'elle est généalogique.
Comme tous les peuples anciens, les Arméniens possèdent un très riche fonds de contes populaires. Si on les analyse, en les comparant avec ceux des autres Indo-européens, on décèle aisément de très nombreuses similitudes renvoyant à des temps particulièrement lointains, à des pratiques et des structures mentales et spirituelles communes. Pourtant, malgré cela, des différences notables existent, relevant de la spécificité arménienne, c'est-à-dire également à une histoire prise dans son processus. Cela nous conduit à affirmer que ces textes constituent une source incomparable quant à la connaissance. En toute logique, ils devraient être aisément accessibles à tous. Or ce n'est pas le cas. Les traductions françaises manquent, du moins sont indisponibles auprès des éditeurs. Certes, Frédéric Macler en publia plusieurs recueils dont le dernier remonte à 1928 ; pourtant, il faudra attendre 1964 pour voir paraître les Contes et Légendes Arméniens de Chaké Der Melkonian-Minassian ainsi que la traduction de David de Sassoun par Frédéric Feydit. Ces deux livres sont, eux aussi, épuisés. Fort heureusement, les Éditions Kirk viennent d'éditer un très beau volume de Contes Arméniens racontés par Chaké Der Melkonian-Minassian. Henri Verneuil préface cet ouvrage qu'illustre merveilleusement Elo Boudakian.
Chaké Der Melkonian-Minassian a choisi onze contes ainsi que trois chants de l'épopée de David de Sassoun. Si les deux premiers textes des Contes Arméniens ainsi que ceux tirés du cycle des Preux de Sassoun n'ont pas réellement d'auteurs, il n'en va pas de même pour les autres. On notera ainsi la présence de textes dus à H. Toumanian G. Aghayan, K. Servandzian et S. Gourdikian que l'auteur du volume a traduits et adaptés.
Ces histoires nous les connaissons pour la plupart d'entre elles ; mais il est agréable de les relire sous une forme nouvelle, et surtout vivante, débarrassée d'une écriture se voulant scientifique et de ce fait rébarbative.
Par des contes tels que "Haïg et Pel ", "Ara le Bel et Sémiramis" et L'Église des innocents" nous pénétrons dans des moments de l'histoire ; par contre, les autres choix éclairent, pour qui sait lire, le caractère de la nation arménienne.
Nous connaissons Chaké Der Malkonian-Minassian pour avoir apprécié, à juste titre d'ailleurs, ses précieux ouvrages Politiques Littéraires en U.R.S.S. et L'Épopée Populaire Arménienne-David de Sassoun. Nous parlerons de cette dernière étude dans la prochaine livraison d'Ani. Avec ses Contes Arméniens elle a pu, non seulement, combler un vide préjudiciable à une des plus anciennes cultures, mais aussi offrir au public, celui des petits comme celui des adultes, une œuvre des plus plaisantes à lire.

Gérard Bédrossian, Cahiers arméniens ANI, N° 3 (1987)


Table des matières

Il était une fois..,5
Ha'ïg et Pel (légende nationale)9
Ara le Bel et Sémiramis (légende nationale)13
L'église des innocents (d'après H. Toumanian)17
Anahid (d'après G. Aghayan)21
L'enfant et le serpent (d'après K. Servandzian)37
Nazar le Vaillant (d'après H. Toumanian)41
Le Temple de la Lumière (d'après S. Gourdikian)53
Une goutte de miel (d'après H. Toumanian)57
A qui la faute? (d'après H. Toumanian)63
Areknazan ou le monde enchanté (d'après G. Aghayan)67
Le Mardi gras (d'après H. Toumanian)83
Les Preux de Sassoun (épopée populaire arménienne)
- Sanasar et Balthasar - chant premier89
- Mehèr le Lion - chant deuxième105
- David de Sassoun - chant troisième115


ligne
    Retour à l'Index des auteurs en français    Accueil des catalogues en ligne