« Je suis l’enfant de multiples orages, la fille de rivières de sang. L’Arménie m’a enfantée, mais le pays de mon cœur a été détruit. Gamine, à Paris, j’ai écouté les échos lointains du peuple arménien qui a été égorgé là-bas, en 1915. Toute ma vie, j’ai entendu parler de « là-bas ». Achrène, ma grand-mère, était de là-bas, Azad, ma mère, était de là-bas… Comme des milliers de femmes battues, vendues, violées, déportées, comme tous ces enfants noyés, elles étaient promises à la mort. Elles ont survécu par miracle.
Pendant des années, j’ai reconstitué leur histoire.
Ce livre, je l’ai écrit avec l’encre de mon âme. »
En racontant l’incroyable histoire de sa grand-mère et de sa mère, gaya guérian révèle la cruauté terrifiante du génocide arménien. elle montre aussi qu’avec le plus lourd des héritages, on peut embrasser la vie.
Un livre pour savoir et ne jamais oublier.
C’est en 2004, trois ans après la mort de sa mère, que Gaya Guérian se met à écrire. Toutes les nuits, elle noircit des pages de cahier, reconstituant, peu à peu, les fils de son histoire.
« La vie, disent les sages japonais, est un fil de soie tendu depuis un arc, relié à une flèche qui file vers l'infini du ciel. Ce fil de soie ne doit jamais se rompre, c'est tout l'enjeu. La tension entre le haut et le bas doit être suffisante pour garder la soie bien droite, mais assez délicate pour ne briser aucun filament. Cette tension, cette légèreté, c’est ce que j'ai essayé de trouver, pour me relier à un passé de douleur », explique Gaya Guérian (née Thérèse Keucheguerian) dans les premières pages du livre. L'auteure a reconstitué l'incroyable histoire de sa grand-mère Achrène et celle de sa mère Azad que les évènements tragiques du génocide ont séparé durant des années, puis leurs émouvantes retrouvailles à Marseille. « Curieusement, au fil des pages, je me suis aperçue que toute cette épopée brutale se passait par l'intermédiaire des femmes. Ce sont elles qui ont survécu, ce sont elles qui ont enfanté, ce sont elles qui ont transmis, ce sont elles qui ont vaincu. Elles ont été blessées, battues, vendues, violées, déportées, on a tenté d'effacer leur mémoire (et parfois, on a réussi), mais ce sont elles, ces Arméniennes miennes, qui ont fait vibrer les cœurs et qui sont les héroïnes de mon récit ».
Comme beaucoup d'autres, Achrène et Azad ne s'épanchaient pas auprès de leurs proches. Ce n'est qu'à l'approche de sa mort que la mère de Gaya Guérian a livré à sa fille les morceaux de sa vie qui manquaient. « Ces ultimes touches du passé m'ont apporté la sérénité », confie l'auteure qui a pu ainsi retracer l'histoire de ses deux héroïnes. L'Arménienne montre aussi que ce lourd héritage légué par les survivants du génocide n'a pas empêché leur descendance d'embrasser la vie. À l'occasion de ses seize ans, Gaya assiste au premier concert de Charles Aznavour à l'Olympia. En 1960, elle est chargée du courrier du jeune Johnny Hallyday, qu'Azad ira voir en concert. « Oui, la vie est belle », écrit Gaya qui dit avoir écrit ce livre avec l'encre de son âme.
E.B, Nouvelles d'Arménie Magazine, numéro 223, Novembre 2015