Publication du récit personnel de Mgr Bahabanian, "Récit de notre déportation d'Ankara"
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PREFACE de G. AMADOUNI
Evêque Tit. d'Amathus de Chypre
Mgr. Grégoire Bahaban, le dernier évêque des Arméniens Catholiques d'Ankara, né dans cette ville le 5 Décembre 1866 et décédé à Paris le 2 Janvier 1951, avait écrit ses Mémoires ou le JOURNAL de sa Déportation et de celle de ses fidèles. Il l'avait intitulé: « Récit de notre Déportation d'Ankara, 1915 Août 14/27 ».
Nous nous sommes permis de substituer à ce titre cet autre: « UNE PAGE SUR MILLE DU TEMOIGNAGE CHRETIEN D'UN PEUPLE ».
En effet, on peut dire que ce récit n'est qu'une page d'une longue série de témoignages chrétiens rendus par le peuple arménien pendant le ler quart de notre siècle, dont les actes, si tout était écrit, constitueraient de gros volumes.
Le JOURNAL de Mgr. Bahaban, ayant été surtout écrit à l'usage du petit reste de ses ouailles, qui ont survécu aux horreurs des massacres des années 1915-1918 des Arméniens, habitant la Turquie, avait été rédigé en langue turque.
Comme il était d'usage à l'époque qui précède la réforme introduite dans l'alphabet de la nouvelle Turquie, les citoyens arméniens qui avaient perdu la connaissance de leur propre langue maternelle, et qui ne connaissaient que le turc, — c'était bien le cas des Arméniens d'Ankara et de certaines autres agglomérations d'Anatolie centrale et occidentale, — préféraient écrire le turc en caractères arméniens, beaucoup plus faciles qu'écrire en alphabet arabe. Mgr. Grégoire Bahaban s'en est servi pour son Journal, vu que par ce moyen son récit serait plus facilement accessible à ses ouailles.
Nous reproduisons ici, en fac-similé, une page de son texte original, en guise de spécimen.
Après le décès de l'auteur, à Paris, le 2 Janvier 1951, son manuscrit a été gardé chez ses proches parents comme une précieuse relique. Durant les années de notre ministère en France, ces parents le mirent aimablement à notre disposition en souhaitant de le voir imprimé, pour l'édification de leurs compatriotes survivant aux affres de la Déportation dont il est question.
Après mûre réflexion, nous nous sommes rendu compte que lancer ce texte tel qu'il était, dans la langue originale et en caractères de l'alphabet arménien, n'avait désormais aucun sens, étant donné que les intéressés eux-mêmes, et surtout les jeunes, connaissent mieux aujourd'hui le français que la langue de leur pays d'origine. Nous nous sommes décidés donc d'en soigner la traduction française.
Pour ce travail nous avons eu recours à Mr. Georges Paboudjian, connaisseur de la langue turque de l'époque, arménien catholique, né à Brousse, résidant à Paris. C'est lui qui en a soigné la version en français. Hélas! Après avoir accompli cette tâche, il n'a pas survécu longtemps.
La traduction terminée, nos responsabilités pastorales, nos engagements, ainsi que l'état précaire de notre santé ne nous ont pas permis, pour quelque temps, de passer à la publication. Nous ne voulons pas la renvoyer à plus tard.
Nous sommes certains, que l'intérêt hagiographique et ecclésial de ce Journal n'échappera à quiconque va le lire. Il aura la possibilité de toucher du doigt la réalité d'un témoignage collectif chrétien rendu par un peuple entier.
L'authenticité de ce témoignage y est confirmée par l'exposition simple et lapidaire d'un évêque, lui-même soumis aux mêmes avanies que ses ouailles.
Le lecteur va se rendre compte que la Déportation de tous les Arméniens peuplant l'Empire Ottoman n'était qu'un moyen rusé et un camouflage de l'extermination totale de ce peuple qui au long de sept siècles, malgré les pressions déguisées et les vexations de tout genre, n'avait pas renoncé à la fidélité en Jésus Christ pour l'échanger avec l'Islam et s'intégrer complètement dans la masse du peuple Turc-musulman. Ce fut son unique délit.
Nous devons relever tout d'abord que ce Journal nous transmet uniquement les événements rattachés directement à la Déportation des Arméniens Catholiques d'Ankara, dont Mgr. Gr. Bahaban était le pasteur. Ce narrateur toutefois, qui fut aussi témoin oculaire, ne perd pas de vue ce qui était arrivé à ses frères arméniens de la même ville d'Ankara, quinze jours auparavant, vers la fin du mois de Juillet 1915. Cependant, puisqu'il en ignorait les détails, il y fait seulement allusion de façon générale.
D'ailleurs pour ce qui concernait aussi ses ouailles, il ne relate, — excepté dans le début du Journal, — que les faits qui se rapportent au 1er convoi dont il faisait partie et cela jusqu'à l'endroit où il a pu le suivre, pendant cent journées de marche, après quoi il fut détaché du groupe pour gagner la ville d'Alep.
Par contre, le reste de son convoi, ainsi que les composants du 2ème et Sème convoi des Arméniens Catholiques d'Ankara ont dû poursuivre leur calvaire, — malgré le contre-ordre formel obtenu au début de leur départ, au nom de Sa Majesté le Sultan, de les exclure du verdict de massacres, — malgré tout cela, à proximité d'Alep eux-aussi furent mêlés à tous leurs autres coreligionnaires arméniens, provenant de toutes les contrées de la Turquie, et ils furent poussés sans pitié toujours en avant sur le sable brûlant, ronceux et rocailleux du désert de la Syrie jusqu'à Deïr-el-Zor, localité qui allait devenir leur tombe.
C'est là que le dernier souffle de vie, resté à ces fantômes d'êtres humains, serait éteint dans les conditions les plus cruelles, sur un ordre du Moutassarif du lieu de les enterrer vifs sous le sable du désert.
Entre plusieurs autres, celui qui raconte ce dernier acte de la tragédie apocalyptique de ces déportés arméniens, est M. l'Abbé Pierre Merdjimékian. Des Mémoires de celui-ci nous traiterons dans notre Introduction, au paragraphe bibliographique.
Point n'est besoin d'affirmer que le but de cette publication, loin de toute visée politique, n'est que d'offrir, à l'exemple de ce que faisaient les anciens chrétiens en échangeant entre Communautés ecclésiales le récit de leurs Martyrs, un moyen efficace d'édification, surtout à la jeunesse de notre époque où la fidélité à l'Evangile est de toute nécessité.
Nous entendons l'adresser, particulièrement aux enfants et aux petits-enfants de ces héros de la foi, se trouvant en France et dans d'autres pays de la Diaspora. Que ceux-ci, en feuilletant ces pages, touchent du doigt ce qu'a été la fermeté de leurs ancêtres, en face des épreuves extrêmes auxquelles leur fidélité au Christ avait été soumise.
Nous tenons bien à relever que l'élan collectif de sacrifier en victime sa propre vie plutôt que de renier le Christ a été commun à une forte majorité des Arméniens. En fait, quantité d'écrits de témoins oculaires qualifiés, traitant du cas des Arméniens Grégoriens et Protestants de toutes les contrées de l'Empire Ottoman, l'attestent. Au cours de ces dernières 60 années, il s'est déjà constitué une riche bibliothèque à travers laquelle on entrevoit que la même vertu de fidélité a été le privilège d'une majorité assez importante.
Nous allons développer un peu davantage, dans notre Introduction, ce dernier point, c.à.d. la mort in odium fidei acceptée par ces victimes.
Entre temps, nous souhaitons vivement qu'un grand nombre de lecteurs et de lectrices profitent de ces pages pour en tirer des motifs d'édification et de renouveau de leur propre vie chrétienne.
G. AMADOUNI
Evêque Tit. d'Amathus de Chypre