Naissance en 1884, décès le 26 janvier 1957 à Paris.
Chavarche Missakian était un homme de cette époque-là. Né en 1884 à Zimmara, un petit village perdu en Anatolie, rien ne le prédestinait alors à se retrouver un jour à Paris. Il quitte la province de Sébaste pour Constantinople (actuelle Istanbul) où il passera, au gré des fermetures d’écoles arméniennes, la plupart de écoles primaires et secondaires.
Sur la liste noire
Dès l’âge de 16 ans, il collabore à divers journaux arméniens et publiera, en 1908, un premier hebdomadaire littéraire, profitant de l'engouement intellectuel et politique suscité par la proclamation de la nouvelle constitution ottomane. Membre actif du parti Tachnagtsoutioun (Fédération révolutionnaire, socialiste et nationaliste), il est envoyé en 1911 dans la ville de Garine (actuelle Erzeroum) afin de reprendre en main le quotidien Haratch dont le rédacteur en chef vient d'être assassiné. Ce voyage en Arménie historique le marquera profondément. A son retour à Constantinople, il intègre la rédaction du quotidien Azadamard...
Jusqu'au 24 avril 1915
Il est alors sur les listes des intellectuels arméniens à éliminer mais parvient à passer entre les mailles du filet et continue, pendant près d'un an, d'envoyer clandestinement des articles aux journaux arméniens de Sofia ou Bakou. En 1916, tentant de fuir en Bulgarie, il est arrêté et emprisonné par les Turcs. Longuement torturé, il tentera à plusieurs reprises de se suicider pour mettre fin à ses souffrances, puis sera condamné au bagne d'où il ne sortira qu'à la faveur de l'armistice : il fait alors partie des rares intellectuels à avoir survécu, mais en gardera des séquelles physiques tout sa vie.
Revenu à Constantinople, il prend la direction du journal Djagadamard, puis émigré en Bulgarie d'où il est ensuite envoyé à Paris par le parti Tachnag pour animer la toute nouvelle communauté arménienne qui s'y est formée. Il se chargera d'organiser les jeunes de la « nouvelle génération » en fondant le Nor Seround (principale organisation de jeunesse militante, affiliée au Tachnagtsoutioun) et en leur offrant un journal, Haïastan, qui est encore publié aujourd'hui.
En avant !
Mais sa grande œuvre, en tant que journaliste, est la publication, dès 1925, du « nouveau » Haratch (traduction arménienne de l'exhortation « En avant!»). Plus qu'un organe d'information, le quotidien en langue arménienne se définit alors comme le lien grâce auquel « les membres d'une même famille se regroupent après la tragédie de 1915 ; y retrouvant un peu de lumière d'Arménie, du pays quitté malgré soi, terre perdue vers laquelle on rêve de retourner bientôt ». Le journal jouera ainsi un rôle important dans le milieu intellectuel arménien dès l'entre-deux guerre grâce à ses suppléments littéraires et par une large place faite aux écrivains contemporains qu'il publiera chaque jour sous forme de feuilletons inédits. Chavarche Missakian tiendra ainsi une grande place dans la vie de la communauté arménienne de France ainsi que dans celle du IXe arrondissement jusqu'à sa mort le 26 janvier 1957. Les Arméniens, reconnaissants, lui réservent alors des funérailles « nationales » et l'enterrent au Père-Lachaise.
C'est à cette figure-là qu'a voulu rendre hommage le Conseil de Paris en adoptant, le 16 octobre 2006, à l'initiative des élus du IXe arrondissement de donner une place à cette personnalité forte, symbolique, que Bertrand Delanoë, au cours de son discours, qualifiera d'homme «fier de ses valeurs et de l'Histoire », « fier d'être Arménien et d'être Parisien (et qui) honore Paris en prenant toute sa place dans la profondeur de notre identité ». Quant au maire du IXe arrondissement, Jacques Bravo, dont le premier mot appris en arménien a été « Haratch », il raconte volontiers que sa première réunion politique a eu lieu dans la salle de la maison de la culture arménienne de la rue Bleue, régulièrement prêtée à la mairie, illustrant ainsi dans quelle mesure les Arméniens font partie du « paysage » de son arrondissement. Reste surtout, finalement, la volonté de marquer la personnalité emblématique d'une époque et d'un quartier d'Arméniens qui, avec leurs dix imprimeries, leurs cercles et revues littéraires, politiques, satiriques, médicales, mais aussi leurs restaurants, diamantaires, épiciers, ont permis à une aventure intellectuelle unique en son genre d'avoir lieu...»
Sevan Minossian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 130, Mai 2007
Mise à jour : 2011