Commentaire, Préface de Charles Aznavour On sait peu de choses de la nation Arménienne en général et des Arméniens en particulier, peu de choses, hormis peut-être que l'Arche de Noé s'était posé sur le mont Ararat que ce fut le premier pays à adopter, au troisième siècle, la religion chrétienne comme religion d'Etat ; qu'en 1988 le pays subit un terrible tremblement de terre faisant trente mille morts, des milliers de disparus, d'orphelins et de sans-abri.
On sait peu de choses, néanmoins quelques noms peuvent nous venir à l'esprit, qui dans des domaines divers, se distinguent ou sont devenus célèbres, Djorkaeff, Boghossian, pour le ballon rond, Kasparoff pour les échecs, Atamov, William Saroyan, Atom Egoyan, Ruben Mamoulian, Henri Verneuil pour l'écriture le théâtre ou le cinéma, Rosy Varte, Cher, les Pitoëff pour le spectacle, et d'autres, de père ou de mère Arméniens qui ont parfois comme moi-même, amputé le IAN de leur nom, ce qui peut occulter leur filiation à cette communauté.
On sait peu de choses de ce peuple qui, au début du siècle en Turquie, a connu un génocide d'au moins un million cinq cent mille victimes !... Génocide qui n'est toujours pas reconnu par de nombreux pays, au nom de la " raison d'Etat " et que je qualifierais plutôt de " raison de commerce "...
On sait peu de choses car ces apatrides comme on les appelait se sont fondus sans faire de vagues dans la masse du pays d'accueil, travaillant sans relâche- tout en sauvegardant leur langue, leurs coutumes et leur culture - et devenant, ainsi qu'on l'a dit " une diaspora exemplaire ".
On sait peu de choses ... A peine que ces " Etrangers " titulaires d'un fragile passeport Nansen ont payé souvent de leur vie, durant les deux dernières guerres, leur attachement à leur pays d'adoption, tel "Missak Manouchian " auquel Louis Aragon a rendu hommage dans son célèbre poème " l'affiche rouge ".
On sait peu de choses, et moi-même en lisant Lydie Belmonte, j'ai appris beaucoup plus sur nous- même que je n'en avais su jusqu'ici. Cet ouvrage restera pour moi un livre de référence.
On sait peu de choses, mais si vous êtes curieux vous découvrirez ce petit peuple du Caucase qui n'a pas encore eu la chance de trouver la Paix, et auquel il faudra encore beaucoup de persévérance, d'espoir et de courage pour ne pas disparaître, comme ont disparu d'autres grandes civilisations.
On sait peu de choses, mais si vous voulez savoir, je vous engage à lire ce livre qui ne vous dira pas où va la nation Arménienne mais qui dit si bien d'où elle vient.
Charles Aznavour
Autre commentaire De la petite Arménie au boulevard des Grands Pins relate l'histoire d'un quartier de la banlieue sud-est de Marseille où se sont installés à partir de 1924 les premiers rescapés du génocide. Lydie Belmonte a écrit son livre à partir d'un mémoire d'histoire qu'elle a soutenu en 1991 à l'Université d'Aix-en-Provence.
Son parti pris est d'observer l'évolution de la communauté arménienne dans un espace géographique extrêmement limité, le boulevard des Grands Pins à Saint-Loup, et de nous raconter la grande et la petite histoire de ces déracinés. Celle de leur arrivée en bateau à Marseille et de leur accueil au camp Oddo où l'on dénombre jusqu'à 3400 personnes quand les lieux ne pouvaient abriter guère plus de 2500 individus. Les conditions de vie sont alors difficiles et le racisme est une réalité quotidienne. Le sénateur maire Flaissières n'hésite pas à jeter l'anathème dans les colonnes du Petit Provençal "...quarante mille de ces hôtes (Les Arméniens) sont en route pour la France, ce qui revient à dire que la variole, le typhus, la peste se dirigent vers nous, s'ils n'y sont pas déjà en germe pullulants, depuis l'arrivée des premiers de ces immigrants dénués de tout, réfractaires à nos meurs occidentales, rebelles à toutes mesures d'hygiène, immobilisés dans leur indolence résignée, passive, ancestrale. " Et le sénateur maire d'en appeler à la population marseillaise afin qu'elle "...réclame du gouvernement qu'il interdise rigoureusement l'entrée des ports français à ces immigrants et qu'il rapatrie sans délai ces lamentables troupeaux humains, gros danger public pour le pays tout entier. " (21/10/1923). Les immigrés changent, les discours demeurent.
Mais les Arméniens sont plutôt du genre discret, alors ils font le dos rond et tentent par tous les moyens de s'intégrer. La première génération s'installe dans le quartier et à force d'entraide et de solidarité reconstitue un tissu social. En 1929 une église sort de terre au numéro 42 du boulevard des Grands Pins, des associations se créent, la vie reprend le dessus. Les industriels du coin, Rivoire et Carret, Coder et d'autres, embauchent à tour de bras cette main d'oeuvre docile et bon marché qui aime se retrouver entre hommes le soir dans l'un des deux cafés du quartier fréquenté par des consommateurs aux opinions politiques diamétralement opposées. Car la communauté des Grands Pins est agitée par les mêmes questions que l'ensemble des Arméniens de France. Pour ou contre l'Arménie Soviétique ; pour ou contre le retour, etc. On regrette que Lydie Belmonte fasse une quasi impasse sur le comportement des habitants pendant la guerre et sur l'attitude des quelques collaborateurs qui ont existé. (...)
Cette chronique est celle de toutes ces micro communautés qui faute d'organisation et de structure, sont vouées à disparaître malgré la présence d'une église et de nombreux souvenirs. De la première à la troisième et a fortiori à la quatrième génération, les enjeux ont changé. Il ne s'agit plus aujourd'hui de s'intégrer, mais plutôt de résister à l'assimilation. Les Arméniens sont souvent pris comme un exemple d'intégration. Mais sont-ils un si bon exemple ? L'auteur en doute. "De la Petite Arménie au boulevard des Grands Pins est un album de famille sympathique et sans prétention, dont le style aurait mérité une relecture un peu plus attentive.
Daniel Gagoyan, Nouvelles d'Arménie Magazine, Mars 2000
Note ACAM :
Un errata présent sur le site Internet du livre corrige quelques erreurs.