« Vous parviendrez peut-être à obtenir ma libération ou, du moins, un exil en liberté dans un endroit convenable. En prison, je vais mourir, et cela n'est pas juste car je suis absolument innocent. Adhérer à un parti politique n'était pas une infraction, cela était permis par le gouvernement. Comment cela a-t-il pu soudain devenir un délit et pourquoi tous ces malheurs se sont-ils abattus sur moi ? Je ne le comprends toujours pas. »
Journaliste, essayiste et homme de loi, Barsegh Chahbaz est un des intellectuels raflés à Istanbul le 24 avril 1915, date retenue comme celle du déclenchement du génocide. En juillet 1915, depuis ses geôles d'Aïntab, il adresse à sa sœur et son épouse une longue lettre les enjoignant à plaider sa cause auprès des autorités turques.
En 2013, cette lettre exceptionnelle a été reçue en donation par le CPA, et sa publication est proposée augmentée de deux textes inédits en français qui éclairent la personnalité de cet intellectuel et relate ses derniers jours de captivité.<
AVANT-PROPOS
Publié à l'occasion de la commémoration du centenaire du génocide des Arméniens, Le pays d'Ararat le sait réunit trois textes traduits de l'arménien, autour de la figure de Barsegh Chahbaz, intellectuel raflé à Istanbul le 24 avril 1915.
Cet ouvrage met à l'honneur des documents exceptionnels conservés au Centre du Patrimoine Arménien (CPA) et issus d'une donation reçue en 2013, le courrier original qu'adressa Barsegh Chahbaz à son épouse et à sa sœur sur le chemin de la déportation. Cette lettre bouleversante, véritable supplique, dit toute sa détresse et la dureté de sa situation, mais également son refus de renoncer. Il nous a semblé qu'en 2015, la publication de ce document et des archives familiales qui l'accompagnent, s'imposait.
Dans ce projet, le CPA a été accompagné par Léon Ketcheyan, traducteur, érudit et historien qui, au cours de ses recherches, a mis au jour deux textes passionnants jamais encore traduits en français et dont il a bien voulu qu'ils soient adjoints à la lettre.
Le premier, un long article publié aux États-Unis en 1965 par Minas Katchatourian, nous permet de découvrir à travers de larges extraits de correspondance, l'étudiant engagé, le combattant politique et le défenseur des droits du peuple arménien. Il plonge le lecteur au cœur des débats qui agitent les élites arméniennes au début du XXe siècle, laisse deviner le désabusement qui le gagne et l'intellectuel qui l'emporte sur le militant.
Le second se déroule à Ayas, dans la prison devenue « le cimetière des intellectuels arméniens », où le destin fait se croiser Barsegh Chahbaz et Avétis Nakashian, médecin, un des rares prisonniers ayant survécu. Son récit, « La prison d'Ayas », publié à Alep en 1930, éclaire les conditions de leur détention, l'angoisse qui les étreint mais également l'incompréhension et l'indignation face au traitement qui leur est réservé.
Ainsi, nous espérons que « Le Pays d'Ararat le sait » contribuera à faire progresser la connaissance de ces événements. Nous remercions vivement Iris Bassmadjian pour avoir initié ce projet et Léon Ketcheyan pour son travail de traduction et de recherche.