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![]() | Naissance le 15 septembre 1954 à Malatya (sud-est de la Turquie); assassiné le 19 janvier 2007 à Istanbul (Turquie). ------------- Dernière victime en date de la longue série d'assassinats de journalistes turcs, Hrant Dink, tué par balles vendredi 19 janvier au pied du siège de son hebdomadaire à Istanbul, se battait autant pour la reconnaissance du génocide arménien que pour la démocratie en général dans son pays, la Turquie. Hrant Dink est né en 1954, dans le sud-est, à Malatya et est entré, à 7 ans, dans un internat arménien à Istanbul, où il fera des études universitaires de biologie et de philosophie. Il milite brièvement au parti communiste, alors interdit, avant de se dévouer à un orphelinat pour Arméniens - saisi par l'Etat après 1974, comme bien d'autres fondations de "minoritaires" en Turquie. En 1996, il crée un hebdomadaire bilingue - s'ajoutant à deux quotidiens uniquement rédigés en arménien. Laïc et démocratique, vendu à 6000 exemplaires, Agos (fertilité, en arménien) veut revivifier une communauté en déclin de 50.000 personnes, sous forte emprise de son Eglise et conspuée par la propagande après les attentats de l'Asala. Hrant Dink dénonce ouvertement le génocide arménien, s'attirant des poursuites en justice à répétition. Et participe aux combats démocratiques du pays, y compris sur la question kurde. Cela l'oppose aux diasporas arméniennes, promptes à lier la "modération" des Arméniens d'Istanbul à leur situation "d'otages". Alors que ce double engagement ne fait qu'attiser la haine que lui vouent les nationalistes turcs. Elle lui sera fatale. Sophie Shihab --------------------------- Moins de deux semaines avant d'être abattu par balles, vendredi 19 janvier à Istanbul, le journaliste turc arménien Hrant Dink s'était déclaré menacé. "Ma messagerie est pleine de phrases de haine et de menaces. Je suis comme un pigeon. Je marche en regardant devant et derrière moi...", confiait-il dans le dernier de ses éditoriaux paru dans Agos, l'hebdomadaire bilingue - turc et arménien - qu'il avait créé en 1996. Devenu la voix la plus connue de sa communauté - les 60 000 Arméniens vivant encore en Turquie, presque tous à Istanbul -, il parlait sans détour du "génocide" de 1915, que les autorités turques récusent. Il fut pour cela plusieurs fois poursuivi par la justice de son pays, devenant une cible de choix des cercles nationalistes. Il fut aussi le seul intellectuel turc de renom à être condamné "pour insulte à l'identité turque", se voyant infliger six mois de prison avec sursis. Les autres victimes de telles poursuites ont échappé aux condamnations. Son assassinat a provoqué un choc en Turquie, où nul ne semble douter qu'il s'agisse d'un crime politique, dernier d'une longue série dans le pays. Il fut unanimement condamné vendredi, y compris par des politiciens nationalistes, inquiets de l'image donnée à l'étranger. Dès la nouvelle connue, les deux grandes chaînes télévisées privées, CNN-Türk et NTV, ont lancé des éditions spéciales. Elles ont duré jusqu'à la nuit, alors que des manifestants protestaient toujours, sous la pluie, devant le siège du journal Agos. C'est à la porte de l'immeuble, dans le centre d'Istanbul, que Hrant Dink, 53 ans, fut atteint par les balles et tué sur le coup. L'assaillant, un jeune homme dont la silhouette fut captée par une caméra de surveillance, s'est enfui. Le corps est resté plus d'une heure couvert d'une bâche, isolé par la police des centaines de personnes qui s'amassaient, dont des membres visiblement choqués de la communauté arménienne. Une marche a regroupé 2 000 personnes, sous une banderole proclamant : "Nous sommes tous Hrant Dink". Des centaines de personnes ont aussi manifesté à Ankara. Et des militants ont scandé des slogans contre "l'Etat assassin", alors qu'un avocat de la victime, Erdal Dogan, affirmait que Dink avait reçu des menaces de mort et écrit à ce sujet une lettre aux autorités, sans recevoir de réponse. Un de ses collègues, Aydin Engin, a précisé que Dink attribuait ces menaces à "l'Etat profond" - terme usité pour désigner ce qui serait d'obscurs et puissants réseaux ultranationalistes au sein des structures sécuritaires. Trois suspects ont été détenus, a annoncé dans la soirée le gouverneur d'Istanbul. "Nous sommes très proches de résoudre l'affaire. Nous avons des preuves - documents, images, témoignages", a déclaré Muammer Güler. Auparavant, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, avait promis de tout faire pour trouver les coupables de ce qu'il a appelé une attaque contre "l'unité, la stabilité, la liberté de parole et la vie démocratique" en Turquie. Le thème de la "provocation" pour nuire à la Turquie est souvent revenu sur CNN-Türk et NTV, où l'on a dénoncé un crime "honteux", mais aussi "embarrassant". Le ministre des affaires étrangères, Abdullah Gül, a présenté des condoléances "tout particulièrement à la communauté arménienne et à la famille de Hrant Dink", mais le premier ministre n'a pas omis de préciser que "ce crime a été commis au moment où les accusations arméniennes de génocide sont reprises dans certains pays". Le vote du Parlement français, en novembre 2006, pour pénaliser la négation du génocide arménien - après la reconnaissance du génocide en 2001 - avait provoqué une nouvelle crise entre Paris et Ankara, où l'on craint à présent une reconnaissance du génocide par le nouveau Congrès américain, dominé par les démocrates. Hrant Dink, militant de la démocratisation en Turquie autant que du devoir de mémoire, critiquait ceux qui exploitent le passé arménien à des fins électorales et ceux qui veulent pénaliser le déni du génocide - démarche à laquelle il s'opposait. A Paris, l'un de ses avocats, Feytiye Cetin, a appelé "ceux qui veulent trouver ses assassins à bien lire son dernier éditorial", écrit alors qu'il n'avait pas reçu de protection de l'Etat malgré ses plaintes, ajoutant : "Le rôle de l'Etat est de protéger ses citoyens, pas d'en faire des cibles, comme cela fut le cas pour Hrant Dink." |
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