Les œuvres présentées dans cet ouvrage apportent un éclairage inédit sur la culture européenne de l’époque moderne, tout en proposant un champ nouveau aux études arméniennes. Au travers de figures devenues légendaires, l’Arménie et les Arméniens furent évoqués par des auteurs tels que Corneille, Molière, Metastasio, Goldoni, et des compositeurs comme Cavalli, Keiser, Hasse, Haendel et Vivaldi.
Jusqu’ici, on ne connaissait qu’une vingtaine d’œuvres théâtrales et lyriques mettant en scène des personnages arméniens. Les recherches menées par Alexandre Siranossian font état de plus de six cents pièces de théâtre et opéras, nous offrant une matière inédite, touchant à tous les domaines de l’art, de la littérature à la peinture. L’auteur a voulu faire revivre ce moment d’engouement dans l’histoire européenne, lorsque rois et princes admiraient, dansaient et jouaient sur des œuvres inspirées par l’Arménie et son prestigieux passé.
Si l’on connaît la place occupée par les Arméniens dans le monde économique européen autour du xviie siècle, bien documentée, on demeure frappé de voir combien la présence arménienne fut importante dans le quotidien et dans les représentations mentales des élites européennes.
Maxime Yevadian s’est attaché à éclairer la dimension historique de ces tragédies, comédies et drammi per musica, et permet au lecteur de découvrir les sources d’inspiration de leurs auteurs.
Des chapitres traitant de la matière lyrique mettent en lumière cet ensemble, avec des illustrations originales, souvent inédites, qui surprendront par leur richesse et leur diversité. Le lecteur découvrira un nouvel aspect des personnages du théâtre et de l’art lyrique, dont les origines demeurent souvent inconnues du public.
Le second volume contient des notices sur les auteurs et les œuvres sélectionnées, donnant des clés pour accéder à cette richesse artistique largement méconnue.
L’ouvrage s’adresse au grand public, amateur de théâtre et d’opéra, mais aussi à ceux que passionne l’histoire de l’Arménie, réelle ou fantastique.
Article d’Elisabeth Baudourian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 212, Novembre 2014
Pour la première fois, un coffret apporte un éclairage inédit sur deux siècles de littérature théâtrale et lyrique des XVIIe et XVIIIe siècles grâce au recensement des références arméniennes dans 645 œuvres. Cette tâche qu'Alexandre Siranossian a menée durant quatre ans, avec la complicité de l'historien Maxime Yevadian, ouvre de nouvelles perspectives dans le champ des études arméniennes.
Nouvelles d'Arménie Magazine: S'agit-il du premier recensement des références arméniennes dans la littérature théâtrale et lyrique?
Alexandre Siranossian : Plusieurs personnes s'étaient déjà interrogées sur les personnages arméniens dans des œuvres telles que Polyeucte de Corneille ou Rhadamisthe et Zénobie de Crébillon. Un article avait été publié dans la Revue des Études Arméniennes au début du XXe siècle. Bien des années plus tard, en 1963, la JAF envoie le compositeur Avedis Messoumentz en Italie pour rechercher des opéras sur Tigrane roi d'Arménie. Au bout de deux ans, dix-huit œuvres sont recensées. S'il y a eu un tel vide, c'est aussi parce que ce n'est qu'à partir des années 1950 que l'on redécouvre la musique baroque. Ainsi, le chef d'orchestre et musicologue italien Angelo Ephrikian (1913-1982) contribue à la renaissance de Vivaldi. En 1969, j'ai eu la chance d'assister à Bâle à la représentation de l'opéra Il Tigrane de Scarlatti créé en 1716 et qui n'avait jamais été rejoué depuis. En 2006, j'ai repris ces études là où les avait laissées Messoumentz. Mes recherches ont été grandement facilitées par Internet car beaucoup de bibliothèques sont numérisées.
NAM: Combien avez-vous répertorié d'œuvres et combien de temps a pris cette recherche?
A. S.: J'ai recensé en tout 645 œuvres. Nous les avons classées avec Maxime Yevadian en sept groupes. Certaines s'inspirent de faits réels de l'histoire arménienne, d'autres, comme Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, utilisent un nom, un titre, un indice évoquant l'Arménie ou incluent un personnage nommé Tigrane... Conçues par 140 auteurs, 236 compositeurs et 7 chorégraphes, ces œuvres se répartissent en 5 romans, 62 pièces de théâtre et plus de deux cents textes à l'origine de 549 versions musicales originales. Ainsi, un drame musical de Goldoni intitulé Tigrane, mis en musique par trente compositeurs différents, a été comptabilisé comme autant d'œuvres différentes. L'une des grandes surprises de nos découvertes est la présence d'un personnage nommé Tigrane dans 154 œuvres théâtrales ou lyriques. On peut se demander pourquoi autant d'auteurs et compositeurs comme Vivaldi (11 titres) et Albinoni (7 titres) ont mis en musique des livrets où figure l'Arménie. On constate même une étonnante « tigranisation ou arménisation » de certains livrets : ainsi, en 1720 à Venise, Albinoni reprenant son opéra Griselda créé en 1703, remplace le personnage de Roberto par celui de Tigrane. Un exemple que l'on retrouve à plusieurs reprises.
NAM: Que révèle cette présence arménienne dans l'Europe des XVIIe et XVIIIe siècles?
A.S.: Les tragédiens et librettistes qui maitrisaient les langues grecque et latine puisèrent les sources de leur inspiration dans les écrits des auteurs de l'antiquité comme Xénophon, Justin et Tacite, dans lesquels l'Arménie est présente. Contrairement à la majorité des peuples de l'Antiquité souvent disparus, les Arméniens sont alors très présents en Europe et notamment à Venise. Marchands, imprimeurs ou ecclésiastiques, ils forment des communautés parfois importantes notamment en Italie. Ainsi, l'histoire de Zénobie, épouse du roi d'Arménie Rhadamiste, nous est parvenue grâce à Tacite. Elle inspira tout d'abord plusieurs tragédiens français comme Scudéry, Montauban et enfin Crébillon. Ce dernier, contemporain de Voltaire, remporta, avec sa tragédie Rhadamiste et Zénobie de 1711, un succès considérable, passa à la postérité et fut préféré à Voltaire pour l'Académie Française ! Repris par les librettistes italiens, le récit de Tacite a donné lieu à plus de soixante opéras et une importante œuvre picturale.
NAM: Les marchands arméniens de Venise ont-ils été des mécènes qui ont soutenu ou inspiré les auteurs?
A. S.: Le répertoire mis à jour comporte des personnages déguisés en costumes de marchands arméniens. Concernant le mécénat, un livret vénitien datant de 1 682 est dédié à Girolamo Mirman. La dédicace évoque à plusieurs reprises l'origine arménienne de ce marchand. Mais cela ne peut expliquer qu'à Venise, lieu central de la création d'œuvres lyriques, il y ait une si forte référence à l'Arménie. Une recherche approfondie dans les archives des compositeurs et des librettistes vénitiens pourrait permettre de savoir quels liens ils ont eu avec les Arméniens. On peut citer également une activité culturelle parmi des descendants de ces marchands : un librettiste réputé chez les Sceriman et un danseur étoile et maitre de ballet important issu de la famille du Marquis de Serpos. À Livourne, où existait un quartier arménien, cette influence prend une forme originale: l'opéra de la ville inauguré en 1782, prit le nom de Teatro degli Armeni parce que l'édifice se trouvait à proximité de l'église Saint-Grégoire l’Illuminateur.
NAM: Quelles ont été les découvertes les plus surprenantes ?
A. S.: Il y en a beaucoup :je peux citer une tragédie portant le titre de King or not King créée en 1611, à la cour du roi d'Angleterre dont le héros sera le premier Tigrane roi d'Arménie de l'histoire du théâtre ; la création en 1698 à Düsseldorf d'un opéra portant le titre L'Armeno, œuvre suscitée par la présence dans cette ville d'Israel Ory (1659 - 1711) , patriote du Karabagh qui avait proposé la couronne d'Arménie au prince-électeur du Palatinat s'il parvenait à libérer le pays; en France, dans Le Temple de la gloire, ballet de Voltaire mis en musique par Rameau, l'auteur fait un parallèle surprenant entre le triomphe de Trajan dans la ville d'Artaxata et les victoires militaires de Louis XV sur les Anglais.
NAM : Comment êtes-vous arrivé à la réalisation d'un tel coffret qui comporte deux tomes et de nombreuses illustrations?
A. S.: Ce projet, conçu avec la participation de Maxime Yevadian, a évolué sans cesse et nécessité l'intervention de nombreux spécialistes parmi lesquels Richard Takvorian qui a assuré la direction artistique de la publication. Plusieurs personnalités de niveau international comme le chef d'orchestre allemand Reinhard Goebel, le père Lévon B. Zekiyan, aujourd'hui archevêque, et Yann Sordet, directeur de la bibliothèque Mazarine, ont immédiatement compris l'importance du sujet. Ce dernier nous a ouvert les portes de son institution, tout comme la grande majorité des responsables des bibliothèques et musées européens avec lesquels une véritable coopération s'est parfois engagée. Les soutiens financiers de la Fondation Calouste Gulbenkian, de la Société Fineco, du Centre national du livre, de l'UGAB France, du Département de la Drôme, de la Fondation Armenia et de quelques particuliers ont été déterminants pour la publication de cet ouvrage.
Elisabeth Baudourian, Nouvelles d’Arménie Magazine, numéro 212, Novembre 2014
Volume I,
Table des matières
Préface de Reinhard Goebel | 12 |
Les Arméniens et l'Occident, une relation particulière par Boghos L. Zekiyan | 14 |
Introduction d'Alexandre Siranossian | 22 |
1 - L'Arménie au temps du Grand Cyrus | 34 |
L'histoire fragmentaire de l'origine de l'Arménie | 36 |
- Une période d'importance considérable dont deux moments sont retenus par les Modernes 37 | 37 |
- Cyrus et Tigrane | 39 |
- Cyrus et Tomyris | 46 |
Artamène ou le Grand Cyrus, la création d'un héros lyrique | 48 |
Les discours sur un roi de légende | 58 |
- La jeunesse de Cyrus | 61 |
- L'avènement au trône de Cyrus | 62 |
- Les guerres de Cyrus | 65 |
- La guerre de trop… | 70 |
- La succession de Cyrus | 78 |
2 - La sagesse de Tigrane le Grand ou l'épopée des Artaxiades | 80 |
L'histoire d'une grande lignée, les Artaxiades | 82 |
- Artaxias ler, le fondateur | 83 |
- La succession d'Artaxias ler | 85 |
- La source principale des librettistes sur Tigrane II | 85 |
- Son avènement | 87 |
- Son expansion protectrice | 87 |
- Mithridate VI, Cléopâtre et Tigrane II | 88 |
- Lucullus et Pompée en Arménie | 90 |
L'arménisation d'un pan entier du répertoire, le royaume de Bithynie | 92 |
Tigrane II, héros d'opéra | 102 |
- La jeunesse de Tigrane | 103 |
- La guerre contre les Romains | 110 |
- La soumission à Pompée | 116 |
3 - Zénobie, l'orgueilleux Radamiste et le prince Tiridate | 128 |
Zénobie, la reine fidèle 130 | 130 |
- La source principale | 132 |
- Le règne de Mithridatès | 135 |
- Les ambitions de Radamiste | 135 |
- L'affirmation de Tiridate | 138 |
- Le voyage de Tiridate à Rome | 141 |
- L'apogée du règne de Néron | 142 |
- Le règne de Tiridate en Grande-Arménie | 145 |
Zénobie et la sagesse de Tigrane | 146 |
- La fin du règne de Claude et l'avènement de Néron | 150 |
- Le couple Radamiste et Zénobie | 160 |
- L'ambition démesurée de Radamiste : un cas d'école | 161 |
- L'amour sans limite de Zénobie pour Radamiste | 162 |
- Les suites fictives | 170 |
- Les histoires travesties | 177 |
- Les guerres romano-parthiques | 182 |
- Le couronnement de Tiridate | 182 |
4 - L'Arménie entre les Parthes et Rome | 194 |
- Les bribes de l'histoire IIe siècle | 196 |
- L'absence d'une source majeure | 197 |
- La campagne de Trajan en Arménie | 197 |
- Hadrien et Vologèse | 199 |
- Antonin et Sohème | 201 |
Les guerres entre les Parthes et les Romains | 202 |
- Les œuvres situées sous le règne de Trajan | 203 |
- Les œuvres situées sous le règne de Marc Aurèle | 209 |
5 - Un théâtre de l'histoire biblique | 212 |
Trois moments clés de l'histoire sacrée de l'Arménie | 214 |
- La prédication en Arménie de l'apôtre Barthélemy | 215 |
- Polyeucte et les martyrs de la Petite-Arménie | 220 |
- La conversion de Tiridate III | 229 |
6 - Les métamorphoses de Tigrane | 238 |
Tigrane et l'identité vénitienne | 240 |
- L'apparition de Tigrane dans le monde lyrique | 242 |
- Le caractère du Tigrane vénitien | 243 |
- La « tigranisation » de certaines œuvres | 244 |
- Tigrane et le gout du public | 248 |
- Tigrane en lien avec l'Arménie | 248 |
- Tigrane sans lien avec l'Arménie | 266 |
- Les personnages inventés | 279 |
7 - Le costume des « Princes-Négociants » | 280 |
La fascination européenne pour les négociants arméniens | 282 |
- Les Sceriman | 284 |
- Les Mirman | 285 |
- Les Serpos | 289 |
- Israel Ori, un personnage hors du commun | 291 |
- Des costumes légendaires | 292 |
Les costumes arméniens, un accessoire recherché | 296 |
- Les personnages costumés | 311 |
Conclusion et perspectives de Maxime K. Yevadian | 320 |
Volume II
Table des matières
Introduction 8 | 8 |
Notices biographiques | 10 |
Table des matières des notices biographiques | 206 |
Annexes | 208 |
Chronologie générale des œuvres | 209 |
Listes des auteurs, des compositeurs, des chorégraphes et de leurs oeuvres 222 | 222 |
Auteurs et œuvres | 222 |
Compositeurs et œuvres | 226 |
Chorégraphes et œuvres | 232 |
Bibliographies | 233 |
Sources antiques 233 | 233 |
Romans et théâtre | 234 |
Œuvres musicales | 237 |
Œuvres complémentaires | 245 |
Études | 246 |
Index des auteurs, des compositeurs, des personnages et des œuvres | 250 |
Auteurs | 250 |
Compositeurs | 252 |
Personnages | 254 |
Œuvres littéraires et musicales | 258 |