Poésie de la générosité, pleine de scènes de la vie,
grosse de toutes les espérances humaines.
Poésie de la beauté, chargée de vigueur.
Poésie de la sensualité et de la passion.
Telle est l'oeuvre d'un des plus grands de la littérature arménienne du XXe siècle, Daniel Varoujan. Il sera l'éternelle fierté des Pères Mekhitaristes de Venise dont il a été l'élève, et qui lui permettront de poursuivre des études supérieures à l'université de Gand, en Belgique. De retour au pays natal, il publie deux grands recueils "Le Coeur de la Race" et "Chants païens" Quand il est arrêté, un certain 24 avril 1915, il couchait déjà sur le papier, de son écriture fine et précise, les poèmes du "Chant de pain" qui restera une oeuvre inachevée... Le poète meurt assassiné en août 1915.
Dès les premiers vers, cela éclate d'exubérance et cela monte au ciel.
`Muse de mes ancêtres,
Dis moi .l'allégresse du pain,
Sa sainteté, sa force créatrice"
Cela monte comme le chant de Nersès Chnorhali. Oui, chaque poème est ici un chant qui exalte la geste du pain depuis les labours, les semailles, les moissons et jusqu'au moulin. Toute la vie est, si bellement sensuelle, comme l "Appel des terres". Dans ce poème, quiconque aurait chanté l'amour du paysan pour sa terre. Daniel Varoujan, lui, fait l'inverse et cela donne une déclaration d'amour étonnante des terres à leurs paysans. Appel de la. vie, appel à la vie dispensée par ces derniers dans une très belle image
":..c'est dans le creux de leurs paumes que le grain commence à germer"
Par la paysannerie, c'est une morale du travail et de la générosité que le poète développe. Ici, il consacre un poème au travail de la herse, là un autre à celui de la batteuse, là encore au grenier et au moulin. Mais l'effort humain est partout. Toujours, il reste fidèle à chanter le compagnon inséparable du paysan, le boeuf, force de travail incontournable, symbole de richesse, de puissance et de paix.
Parce que Varoujan croit en la générosité de la terre, il fait des paysans conquérants. Avec le blé de la terre, ils assurent la victoire de la vie sur la mort, ils s'élèvent, sans abandonner l'ordre matériel, vers le spirituel et le cosmique dans un élan audacieux
"Sème, Semeur, Pour le pauvre que la faim tenaille...
Sème, Semeur,
jusqu'au delà des bornes !
Sème des flots, sème des galaxies !"
Quand le blé murit, Varoujan écrit le poème "O terre dorée". Ca commence comme un tableau de Van Gogh! C'est simplement sublime de couleurs d'incendie qu'on retrouve de façon récurrente dans bien d'autres poèmes.
Vingt-neuf tableaux ainsi se succèdent, charriant des flots d'images fortes, de sentiments puissants, d'aspirations civilisatrices. La présente édition du "Chant du Pain' fera date. Parce qu'elle s'est adjugée avec bonheur la compétence de Vahé Godel, pour la traduction en français. Ensuite parce qu'en regard de chaque traduction, l'original en arménien est imprimé. Mieux, pour le premier poème, les Editions Parenthèses ont eu le bon goût de reproduire le fac-similé écrit de la main même de Daniel Varoujan. C'est un beau travail. C'est une belle lecture.
M. A., Mensuel France-Arménie, numéro 91, Juin 1990
Edition turque
